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Extrait de l'ouvrage de Daniel Rondeau et François Baudin : Chagrin Lorrain (Seuil 1979).
pages 77 et 78
 

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Des princes au couteau facile
 
Amance, 1898. Un village tout en haut d’une corniche. Des maisons basses, étroites, tout en longueur, blotties les unes contre les autres sur la crête de la côte. L’arrondi des tuiles rouges, délavées par la neige et la pluie, blanchies par le soleil. L’imbrication des toits qui descendent doucement jusqu’au ras de la terre des jardins. Au bout des maisons, une forêt. Et à perte de vue la plaine, frémissante dans la chaleur de septembre, parcourue par des lignes sombres et tremblées de peupliers. Peu de bruits dans le village comme endormi, si ce n’est le marteau de l’enclume du forgeron, le crissement des roues d’un attelage tiré par deux chevaux qu’un paysan mène boire à la fontaine. Quelques cris d’enfants. Les premiers jours de septembre ressemblent aux plus beaux j ours d’août, et avec la canicule qui s’attarde, il semblerait qu’il n’y ait jamais d’automne. C’est seulement avec le soir, qui malgré tout vient plus vite, que reviendront la fraîcheur et l’air dont les heures chaudes de la journée ont été si peu prodigues. Amance, 1898, et pourtant tout a changé cette année-là. En quelques mois une société anonyme, la société Vezin-Aulnoy, a obtenu une concession sur le plateau tout proche et décidé d’exploiter une mine de fer dont l’entrée se trouve dans le bois, à flanc de coteau.
Cent vingt-cinq mineurs travaillent à arracher le fer à la terre, à sortir le minerai de sa gangue. La moitié d’entre eux viennent des villages proches. Les autres habitent un peu plus loin, à Champigneulles, à Frouard. Les premiers viennent en voisin, à pied et à travers les bois. Mais c’est le train qui dépose les autres, chaque matin, en gare d’Agincourt. Et depuis quelques mois la tranquillité du village n’est qu’apparente, le calme de l’après-midi est trompeur. Car le train de 18 h 1 1 qui regagne Nancy, via Frouard, est souvent vide. Le café de la gare, en revanche ne désemplit pas. M. Delbane, le cabaretier, a cru faire de bonnes affaires avec tous ces soiffards qui n’hésitaient pas à rater leur train pour payer une tournée. Mais, bien vite, il a compris sa douleur. Les bagarres sont nombreuses, la casse importante et les ardoises restent impayées. C’est pourquoi, ce soir-là, il entend annoncer à sa clientèle que désormais la maison ne fait plus crédit. Mal lui en prend. Les mineurs lui promettent pour les ardoises qu’il leur refuse de la dynamite dans son café. Le commissaire de Moncel, qui se rend sur les lieux le lendemain rassure le mastroquet: «Il ne conviendrait pas d’ajouter plus d’im­portance qu’ils n’en comportent à des propos d’homme ivre[1].» 
Et pourtant son rapport n’est pas sans inquiétude: «Parmi ces ouvriers, notamment les jours de paie, règne une effervescence pouvant, à défaut de surveillance spéciale, amener des faits regrettables[2] »
 
[1] AD M&M 10 M 52
[2] ibid
Tag(s) : #Mine de fer
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